Salut Nicolas, tu es chargé de concertation communautaire en réduction des méfaits pour la Table des organismes montréalais de lutte contre le sida (TOMS) dont la mission est de soutenir et de promouvoir les actions du milieu communautaire. Parmi vos initiatives figure un volet de prévention des surdoses, dans lequel s’inscrit le Projet d’Observation sur les Drogues et Surdoses (PODS). Ce projet permet de signaler des cas de surdose et de diffuser des messages d’alerte concernant les substances psychoactives actuellement en circulation pouvant présenter un risque pour la santé des personnes consommatrices. La TOMS souhaite aujourd’hui relancer ce projet afin de rejoindre davantage les communautés concernées et d’augmenter la participation aux signalements.

Pour commencer, peux-tu présenter la TOMS et sa mission?

L’histoire de la TOMS débute en 1998 lorsque des groupes montréalais décident de permettre une meilleure concertation des groupes communautaires qui travaillent en prévention du VIH et ITSS (infections transmissibles sexuellement et par le sang), en réduction des méfaits, et en promotion de la santé et du mieux-être. Aujourd’hui, la TOMS compte 32 organismes membres qu’elle rejoint à travers deux concertations larges (VIH et réduction des méfaits). Nous y soutenons le développement de différentes initiatives, comme la semaine d’activités qui précèdent la vigile de la Journée mondiale de lutte contre le VIH/sida, le projet Accès-Naloxone et le Projet d’Observation sur les Drogues et Surdoses (PODS).

La TOMS agit comme porte-étendard sur des causes plus politiques comme la décriminalisation du travail du sexe, la décriminalisation de la non-divulgation du statut VIH et la décriminalisation des drogues. 

Le Projet d’Observation sur les Drogues et Surdoses (PODS) a été lancé en 2022. Quelles circonstances ou constats ont menés à sa création, et quels ont été les principaux partenaires impliqués dès le départ?

Le PODS a débuté en plein cœur de la pandémie de COVID-19. Les membres du Comité d’action montréalais sur les surdoses (le CAMS, notre concertation large en réduction des méfaits) constataient la présence de substances de moins bonne qualité en circulation, très probablement causée par la diminution des importations et des transports portuaires dans le monde, y compris à Montréal. Pour donner une idée de l’hécatombe au niveau des surdoses à Montréal, la Santé publique a comptabilisé 178 surdoses mortelles en 20201, soit près du double de 20172.

Le CAMS, ça réunit des travailleuses et des travailleurs des services de consommation sécuritaires (SCS), des groupes communautaires de travail de rue et des milieux d'hébergement qui se sentent directement concernés par la crise des surdoses et surtout qui sentent le besoin d’agir concrètement pour enrayer les décès. Les membres souhaitaient trouver une façon d’informer plus rapidement les personnes qui consomment, dans un contexte où la plupart des organismes ne pouvaient plus accueillir autant de gens dans leurs locaux. L’idée est donc venue de créer un système de signalement « grassroots » par et pour les personnes qui consomment des drogues pour partager des informations sur les mauvaises batchs qui circulaient à Montréal.


On sait depuis longtemps que la majorité des décès par surdose survient à domicile ou lorsque les personnes sont seules, car les SCS ne rejoignent pas nécessairement toutes celles et ceux qui consomment. On peut penser autant aux décès de Mathis Boivin3 qu’à celui d’Otabie Wilson4. Aujourd'hui, des outils comme le PODS et les services d’analyse de substances sont d’autant plus importants pour contrer les effets désastreux de la crise des surdoses qui, à son tour, découle de la crise de la toxicité des substances criminalisées.

À qui s’adresse le PODS? Peux-tu nous expliquer le processus de signalement d’une surdose, et en quoi consistent les messages d’alerte diffusés?

Le PODS s’adresse à toutes les personnes qui se sentent concernées par la crise de toxicité des substances et par la crise des surdoses. Que tu consommes de façon récréative une fois de temps en temps avec des ami·es ou que tu consommes seul·e des substances achetées sur le dark web, ton apport à la plateforme est important. Tous les services du PODS sont disponibles via le site internet surdosesmontreal.com. On y retrouve des informations sur les ressources communautaires en prévention des surdoses, sur l’usage de la naloxone, ainsi que sur la façon d’intervenir en cas de surdose présumée et d’utiliser le système d’auto-signalement.


L’auto-signalement d’une substance ou d’une surdose commence lorsqu’une substance provoque un effet indésirable. À ce moment, on peut, pour soi-même ou avec le consentement de la personne qui a vécu la situation, signaler de façon confidentielle et anonyme via un formulaire la substance ou la situation de surdose. Par la suite, la plateforme m’envoie une alerte que je traiterai selon certains critères et s'il y a suffisamment de signalements d’une même substance avec suffisamment d’informations, nous pourrons procéder à la publication d’une alerte InfoPODS, où nous identifierons la substance à surveiller et différents messages de prévention (exemple : évitez de consommer seul·e, utilisez si possible des services d’analyse de substances ou de consommation supervisée, etc.). Celle-ci sera partagée aux personnes inscrites à notre système d’alerte et un InfoPODS sera envoyé selon le mode de communication choisi : par courriel ou par texto. D’ailleurs, pour s’inscrire à l’InfoPODS, il ne sera bientôt plus nécessaire d’avoir un courriel et les applications d’appels de type WhatsApp vont pouvoir fonctionner. Certaines personnes en situation d’itinérance qui n’ont pas de courriel, mais qui ont un téléphone cellulaire nous ont adressé cette requête, étant désireux·ses de contribuer et de recevoir les alertes du PODS.

Sur le site du projet, il est possible de consulter les données recueillies par année et par substance. Or, nous observons un nombre relativement limité de signalements depuis son lancement. Pourquoi penses-tu que peu de personnes ont eu recours à l’outil jusqu’à maintenant?

Plusieurs facteurs pourraient expliquer le manque d’adhésion à la plateforme PODS. Dans ceux que nous avons identifiés auprès des organismes du CAMS, mais aussi des personnes qui fréquentent leurs services, il y a d’abord la surcharge de travail qui se vit dans les milieux d’intervention en réduction des méfaits. Près du trois-quarts des signalements effectués proviennent de personnes qui travaillent dans les organismes et qui doivent également gérer d’autre paperasse obligatoire dans le cas de surdoses vécues ou rapportées.

Aussi, le formulaire actuel est très long et peut rapidement décourager les personnes qui veulent faire un signalement. Un comité de travail se penche en ce moment même à le synthétiser d’une autre façon, en le rendant plus fluide avec des sections facultatives.

Le PODS, c’est un gros projet avec immensément de potentiel que mes prédécesseurs·euses m’ont légué. Le peaufiner demeure un défi de taille pour une seule personne. C’est pourquoi nous avons recréé différents groupes de travail issus du CAMS pour lui donner une forme plus définie, comme un diamant qu’on a extrait du sol et qui demande beaucoup d'expertises réunies pour le tailler en pièce précieuse. J’ai bon espoir qu’on va y arriver au plus tard au début de l’année 2026 et qu’on pourra procéder à un nouveau lancement promotionnel du PODS 2.0! D’ici là, j’ai repris les tournées d’organismes pour rencontrer les personnes utilisatrices des services afin d’en discuter. Je reçois beaucoup de rétroaction positive, mais aussi des demandes d’amélioration.

Peux-tu déjà nous partager les stratégies que vous envisagez pour améliorer sa portée et son efficacité?

Déjà, nous allons offrir au site internet surdosesmontreal.com un petit relooking. Nous allons le rendre plus attrayant et nous allons y ajouter des contenus et réorganiser les onglets. J’ai partagé mon souhait aux membres du CAMS que nous devenions un peu une référence en matière d’information et de prévention des surdoses à Montréal. Nos membres font déjà de la sensibilisation et de l’éducation dans plusieurs milieux et auprès de différentes communautés. C’est leur expertise que nous souhaiterions rassembler sur le site, tout en donnant accès à d’autres ressources telles que les SCS, les services d’analyse de substances et, pourquoi pas, des groupes de soutien!

Je me prépare déjà aussi à des vagues de signalements qui vont prendre pas mal de mon temps. C’est ce qu’on souhaite : un outil qui est utilisé et qui génère de l’information sur les mauvaises batchs pour éviter les surdoses. Présentement, nous explorons différentes avenues pour du financement afin de pérenniser le projet malgré les nombreuses coupures qui touchent en ce moment le secteur de la réduction des méfaits. Et puis, rêvons un peu : pourquoi ne pas imaginer un poste de chargé·e de projet PODS à temps plein, voire même le développement d’une application mobile! Si j’imagine ce que le PODS pourrait devenir, je vois un outil optimal dont on aura un jour le plaisir de se passer, quand la crise de la toxicité des substances sera derrière nous. Malheureusement, cela semble encore loin, avec la montée de l’extrême droite et le corporatisme d’État qui prennent trop de place dans nos parlements. C’est pourquoi nous gardons nos manches retroussées et que nous nous donnons le droit de rêver à de nouvelles façons de tisser des solidarités solides.



Merci, Nicolas, pour cette belle entrevue.

La Chaire de recherche TRADIS souhaite à la TOMS que la relance du PODS soit un succès. La circulation de l’information, surtout lorsqu’elle peut contribuer à sauver des vies, est essentielle!

La Chaire TRADIS s’engage également à relayer sur la plateforme Chez Manu toutes les alertes transmises via les InfoPODS. Lorsqu’une alerte sera en vigueur, il sera possible de la consulter en cliquant sur un bouton d’action « Alerte » qui deviendra visible en bas à gauche de l’écran (à côté de la sortie rapide). Il demeure bien sûr recommandé de faire tester ses substances auprès des services d’analyse et de consommer dans des lieux sécuritaires. Pour obtenir tous les détails sur les services de consommation montréalais et leur horaire, consultez la page ressource de la TOMS.
https://toms-mtl.org/nos-ressources/prevention-des-surdoses/