Il est désormais bien connu, au sein des recherches qui s’intéressent à la consommation de substances psychoactives, que les personnes issues de la diversité sexuelle et de genre ont une consommation de substances, incluant l’alcool, généralement plus élevée que leurs pairs hétérosexuels1,2. Cette consommation plus élevée s’explique généralement par les expériences de stigmatisation et de discrimination vécues par les personnes de la diversité sexuelle et de genre3, mais également par le contexte culturel propre à ces communautés4. Puisque peu d’études scientifiques se sont penchées sur la consommation d’alcool chez les jeunes queers spécifiquement, l’équipe TRADIS a voulu mener une enquête afin d’explorer les liens entre la consommation d’alcool et le fait d’appartenir à la diversité sexuelle ou de genre.

Notre démarche

Dans le cadre de cette enquête, mon partenaire de recherche et moi avons discuté avec 31 jeunes âgé•es entre 18 et 29 ans s’identifiant comme faisant partie des communautés 2S/LGBTQIA+. Parmi les 31 participant•es, plus de la moitié s’identifiaient comme des femmes cisgenres, le quart comme des personnes non-binaires et le reste s’identifiaient soit comme homme (cisgenre ou trans), femme trans, agenre ou bien non conforme dans le genre. Au niveau de l’orientation sexuelle, la majorité des participants s’identifiaient comme bisexuels ou pansexuels, suivis d’orientations homosexuelle, gay, lesbienne et queer.

Nos découvertes

Nos échanges avec les personnes participantes nous ont à la fois permis de confirmer certains faits relevés dans la littérature scientifique, mais également d’explorer de nouvelles pistes de réflexion. En effet, nous avons pu confirmer l’existence des liens entre la consommation d’alcool et les expériences de stigmatisation et de discrimination vécues par les jeunes queers, mais nous avons également découvert des liens avec d’autres facteurs personnels, sociaux et culturels.

Facteurs personnels

De nombreuses personnes participantes ont mentionné qu’elles avaient recours à la consommation d’alcool pour pallier les émotions négatives vécues en lien avec les expériences de stigmatisation et de discrimination. Par exemple, certain•es participant•es mentionnaient avoir eu recours à l’alcool pour diminuer l’anxiété ou la peur de vivre du rejet ou de la violence en lien avec le dévoilement de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

L’alcool semblait également jouer un rôle important dans l’exploration de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre pour plusieurs personnes participantes. En effet, plusieurs ont rapporté que la consommation d’alcool diminuait la gêne et l’anxiété associées à l’exploration de leur identité de genre ou de leur sexualité. Ainsi, certaines personnes se sentaient plus à l’aise d’explorer leur identité sous l’influence de l’alcool. Autrement dit, la consommation d’alcool ouvrait la porte à l’exploration d’une expression de genre différente ou facilitait les premiers contacts avec des personnes du même genre. Plusieurs personnes trans ont aussi nommé que la consommation d’alcool permettait de diminuer temporairement le sentiment de dysphorie de genre.

La consommation d’alcool semble donc servir principalement à diminuer les émotions négatives, qu’elles soient en lien avec les expériences de discrimination vécues par les jeunes queers, la gêne ressentie dans les différents contextes sociaux ou l’exploration de son identité et de sa sexualité.

Facteurs sociaux

L’influence du réseau social peut avoir différents impacts sur la consommation d’alcool chez les jeunes queer. Bien que la consommation d’alcool ait généralement une place importante dans les contextes de socialisation chez les jeunes, nos conversations avec les participant•es nous ont permis de constater que la place de l’alcool pouvait varier selon les contextes sociaux. Pour certain•es participant•es, la consommation d’alcool augmentait en contexte de socialisation, car l’effet relaxant de l’alcool facilite les rencontres amicales, intimes ou romantiques. Pourtant, pour d’autres participant•es, le fait d’être entouré•e d’autres personnes queers avait pour effet de diminuer la consommation d’alcool. Cela s’expliquait entre autres par le fait de se sentir plus confortable entouré•e de personnes de la communauté, diminuant ainsi le besoin de consommer pour pallier la gêne et l’anxiété sociale. À l’inverse, certaines personnes participantes ont rapporté moins consommer d’alcool dans des contextes non queers afin de rester vigilantes face à l’éventualité de vivre de la violence en lien avec leur identité dans des lieux publics. Pour d’autres jeunes queers, l’absence de connexions avec la communauté queer générait un sentiment de solitude qui pouvait exacerber la consommation d’alcool.

L’environnement social des jeunes queers semble donc jouer un rôle important au niveau de la fréquence, des quantités et des motivations à consommer de l’alcool, et cela est également lié à la crainte de vivre des expériences de discrimination.

Facteurs culturels

De nombreuses personnes participantes ont souligné l’influence de la culture queer sur leur consommation d’alcool. Les lieux de socialisation spécifiques à la communauté étant principalement des bars et des événements festifs, nous avons constaté que cela contribuait à augmenter la consommation d’alcool. Plusieurs jeunes queers qui ont participé à notre recherche ont nommé le manque de lieux de rencontre pour les personnes de la communauté qui ne sont pas centrés sur la consommation d’alcool et la fête. De plus, il a été nommé par quelques participant•es que les spectacles de drag ainsi que les séries et télé-réalités queers pouvaient inciter à la consommation d’alcool.

Nos conversations avec les participant•es nous ont donc permis de mettre en lumière l’importance de développer différents lieux de socialisation pour les personnes queers en dehors des bars et des lieux festifs.

Nos conclusions

Cette enquête nous a permis de mieux comprendre le rôle de la consommation d’alcool dans le parcours de vie des jeunes queers. Bien que la consommation d’alcool prenne généralement une place importante dans les contextes de socialisation des jeunes de manière générale, nos conversations avec les participant•es ont mis en lumière les facteurs d’influence spécifiques à la jeunesse queer. En effet, la consommation d’alcool des jeunes queers semble être fortement liée à leurs différentes expériences de discrimination ou à la crainte de vivre des violences en lien avec leur identité. La consommation d’alcool joue également un rôle positif pour plusieurs personnes, notamment en facilitant les rencontres amicales, intimes et sexuelles ainsi que l’exploration de son identité et de sa sexualité.

Pour la Chaire de recherche TRADIS, les études visant à mieux comprendre les enjeux et réalités entourant la consommation de substances psychoactives chez les personnes issues de la diversité sexuelle et de genre sont essentielles afin de formuler des recommandations en vue d’améliorer les services d’aide psychosociale offerts à ces populations. Nous souhaitons, entre autres, que la compréhension des normes culturelles entourant la consommation d’alcool chez les jeunes queers soit intégrée aux interventions qu’iels recevront afin de les accompagner vers une consommation à moindres risques.

Références

[1] Abdulrahim, D., Whiteley, C., Moncrieff, M., & Bowden-Jones, O. (2016). Club drug use among lesbian, gay, bisexual and trans (LGBT) people. London: Novel Psychoactive Treatment UK Network (NEPTUNE).

[2] Marshal, M. P., Friedman, M. S., Stall, R., King, K. M., Miles, J., Gold, M. A., Bukstein, O. G., & Morse, J. Q. (2008). Sexual orientation and adolescent substance use: A meta‐analysis and methodological review*. Addiction103(4), 546–556. https://doi.org/10.1111/j.1360-0443.2008.02149.x

[3] Goldbach, J. T., Tanner-Smith, E. E., Bagwell, M., & Dunlap, S. (2014). Minority stress and substance use in sexual minority adolescents: A meta-analysis. Prevention Science15, 350-363.

[4] Boyle, S. C., LaBrie, J. W., & Omoto, A. M. (2020). Normative substance use antecedents among sexual minorities: A scoping review and synthesis. Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity7(2), 117.